[PNB] On a longtemps attendu un sursaut organique du peuple breton, comme cette multitude dispersée, compartimentée. déchirée, infiniment diverse, pourrait se reprendre et mettre une volonté au service d’un but. Nous étions les dupes d’une vieille croyance et illusion française.
Rien n’est fait de juste, d’utile, voire de collectif, que par des hommes déterminés avec un caractère et un nom qui leur sont propres. Les chansons populaires ne sont pas miraculeusement écloses de la bouche du « peuple ». Elles ont été laborieusement marmonnées, composées une à une, par des poètes rustiques et licenciés, par quelques Jehan ab Jehan ou quelques Cado berr-e-houc dont la vie terne a été oublié.
Il y a toujours des hommes qui créent ; il y aura toujours des hommes qui dirigeront. Le plus souvent, l’acte collectif spontané est confus et mou dans son contenu comme dans ses contours. La foule sent qu’il faut faire quelque chose, mais elle ne sait pas quoi : elle vacille. Arrivé au carrefour, ça fait du bruit. Quelle direction prendre ? A l’Elysée ? Dans la pièce ? A la Maison du Peuple ?
Un homme sauve la foule du désordre et de la déroute. Il intervient avec un plan, fruit de son originalité individuelle. Son geste volontaire transforme l’événement mou en événement saillant. Il fait éclater le placenta du collectif et délivre la force aveugle dans une direction donnée. L’arbitraire humain est intervenu : le héros a une carrière libre.
L’erreur à éradiquer : la vérité, la beauté, la souveraineté viennent de la collectivité. Le chiffre à ranger : la masse agissante.
La vérité vient de « Dieu ». Seul l’homme qui entend la voix de Dieu en lui-même peut se faire une idée de la vérité.
La beauté appartient à quelques inspirés. Il appartient au berger qui compose un chant plaintif de cinq notes sur un flûtiau, comme il appartient à Bach et Rodin. Elle ne fait pas partie de la foule des trottoirs.
La souveraineté n’a jamais appartenu qu’à ceux qui savent la prendre : aux menteurs et aux gens sans honneur aujourd’hui. Demain, aux forts et aux meilleurs, aux frères aînés du peuple, à leurs guides selon le sang et selon la vérité, dès que ça change Règles du jeu.
En persuadant la masse, le rassemblement fortuit, sans âme et sans cohésion, que l’autorité et le savoir lui appartiennent, les démagogues l’ont, en réalité, décidée à se détourner des sujets d’élite qui ne peuvent pas utiliser ce langage contre nature pour lui faire confiance.
Tant qu’on maintient cette croyance que le peuple est roi par destination naturelle, qu’il est juste et infaillible, seuls les marchands de voleurs d’urnes, les calomniateurs impudents, les flatteurs et les culs plats, en un mot, tout le contraire d’une élite, auront leurs chances d’accéder au pouvoir.
La véritable élite du peuple existe, puisqu’il y a des hommes qui souffrent de l’abaissement de leur peuple et qui ont la tête, le cœur et les bras pour le relever. Mais le jeu politique l’éloigne du pouvoir. Elle n’a ni l’aptitude au mensonge ni le manque de principes moraux qui lui permettraient de rivaliser avec les professionnels électoraux. Elle va mieux, et c’est pourquoi elle est disqualifiée.
(Si les armées devaient se battre avec des coups de langue, les avocats gagneraient ‘les batailles, et les anciens lions de la Légion s’enfuiraient avant le martapis chans…)
Nous n’acceptons pas l’absurde et nous rejetons la tricherie. Le peuple ne prend conscience de lui-même qu’à travers quelques hommes prédestinés, dont les âmes est son âme, et la volonté devient sa volonté. Ces quelques hommes, au milieu de la multitude indifférenciée, ont de la qualité, ont de la race.
Le problème, à nos yeux, n’est pas de donner tout le pouvoir à ce mythe, les masses, mais de libérer, d’éduquer en vue de leurs fonctions et de porter au pouvoir, où qu’ils aillent, les hommes supérieurs, nés pour cela, qui ont l’esprit et la passion du bien public, qui ont le sens du peuple et qui sauront le commander.
Le besoin d’élites est général. Dans le passé. la routine suffisait aux artisans et aux marchands. Aujourd’hui, le développement des techniques crée le soin de nouveaux cadres qu’un peuple doit se donner indépendamment de tout régime politique s’il veut échapper à l’invasion d’une population étrangère supérieure qui la colonisera à l’ombre de son propre drapeau. En Bretagne, on l’a vu. Nous avons été submergés par ‘des contremaîtres, des spécialistes, des chefs d’ateliers, des ingénieurs, des commerciaux, des hôteliers, des comptables et des fiscalistes, des architectes, des entrepreneurs, des secrétaires de mairie, des syndicats, des coopératives et des mutuelles, des chefs de minoterie et de laboratoires, des agents de publicité, cinéastes, journalistes, organisateurs sportifs, professeurs et fonctionnaires de toutes sortes venus des grands centres français de ce terre promise.
Mais c’est notre cas particulier, et d’ailleurs, ces élites professionnelles sont faciles à constituer et à remplacer. Nous nous soucions bien différemment de la super-élitecelui dont les capacités de commandement dépassent le cadre étroit d’une profession pour s’étendre à tout le monde, et dont la conscience large et scrupuleuse doit refléter les inquiétudes et les espoirs de toutes les couches du peuple.
Aucune nation n’a vu son destin grandir, étendre son domaine, affermir son génie et ses libertés, sans cadres solides, sans chefs de migration, sans capitaines, sans releveurs de défaites et sans instigateurs de revanche. Tous les peuples qui ont eu foi en leur étoile ont eu des poètes et des artistes nationaux qui se les sont révélés.
Il sera avec nous comme les autres. La Bretagne saura se donner des cadres nationaux où elle disparaîtra. Un examen comme celui-ci ne nous rassemble pas pour remplir nos esprits. Elle n’a qu’un but : préparer ces cadres, et pour cela développer les des connaissances précises et l’appétit de puissance intellectuelle, acquis par une jeunesse studieuse, vouée à la méditation. Elle voudrait que nous élevions nos âmes au-dessus des calculs individuels et remplissions nos cœurs de notions de probité, de solidarité, de sacrifice, de discipline.
La nouvelle élite bretonne commencera à agir naturellement par l’exemple de sa vie privée. La vie privée d’un peuple est la source de toute croissance et de toute décadence. Il y a des peuples spécifiques comme il y a des familles spécifiques, cela dépend des modèles qui sont placés sous leurs yeux. Et la profondeur religieuse de notre idéal donnera au peuple l’élan puissant, sans lequel aucun grand travail n’est possible.
Alors, par des hommes capables et inspirés, et non en vertu d’un formulaire politique, nous construirons une société où nous pourrons vivre comme des Celtes. Notre monde se réalisera par la prise du pouvoir par la nouvelle élite.
“Élites”, Olier Mordrel, Stur, n°9, éditorial
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